vendredi 20 avril 2007

visuels ("tetes")




"C’est peu dire que d’utiliser, pour décrire les effets de ce genre de médias, le terme de « propagande », qui relevait jadis de la théologie missionnaire et a pâli pour rejoindre le séculier. Ces effets permettent l’immersion de populations nationales entières dans des climats tendanciels produits à des fins stratégiques ; ils constituent ainsi, dans le domaine de l’information, le parallèle de la guerre chimique. L’intuition théorique de Broch rendait compte du parallélisme entre la guerre du gaz -considérée comme une tentative d’envelopper l’adversaire dans un nuage toxique suffisamment épais pour assurer sa destruction physique- et la production d’états de démence collective- considérée comme la tentative de plonger sa propre population dans une atmosphère extatique surchargée par l’exigence de "super-satisfactions" et suffisante pour assurer son autodestruction. Dans les deux cas, on crée des enveloppes totalisantes qui rendent leurs victimes ou leurs habitants captifs d’un rapport global auquel ils ne peuvent pas trouver d’issue actuelle : l’atmosphère nationalisée fonctionne désormais en "système clos" ; l’espace aérien se dépose autour de ses habitants et crée une zone de possession prescrite. Sous la cloche sémantique totalitaire, les gens ne cessent d’inhaler leurs propres mensonges, devenus l’opinion publique, et choisissant volontairement l’absence de liberté, évoluent désormais dans une transe opportuniste. A l’intérieur de ce type d’atmosphères toxiques, on reconnaît encore plus fortement les individus comme ce qu’ils sont déjà dans des conditions plus libres -des “somnambules“ se déplaçant comme s’ils étaient téléguidés dans "le rêve social éveillé". (...) Les somnambules socialisés, avec leur paquetage de fictions de liberté et de critiques imaginaires, se rassemblent sous des slogans et des drapeaux comme s’ils étaient les co-propriétaires de châteaux en Espagne."

extrait de "ECUMES Sphères 3" de P.Sloterdijk

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